mercredi 21 juillet 2010

Isis sur un denier de Julia Domna (Rome, 201)

Il n'est pas rare de rencontrer sur le monnayage impérial des divinités orientales comme Cybèle ou Sérapis, les Sévères les prisant tout particulièrement. Cependant, malgré sa popularité à Rome, la grande déesse égyptienne Isis est quasiment absente du monnayage romain à légende latine. Voici donc une très rare occurrence sur un denier de Julia Domna. Et encore, la légende ne décrit pas explicitement Isis, mais fait appel à la Félicité.
Le culte d'Isis, déesse égyptienne, se développe à Rome au cours du premier siècle après Jésus-Christ et devient public sous Caligula. Au IIIème siècle, les cultes égyptiens sont en vogue et on compte pas moins de sept temples consacrés à Isis et Sérapis dans l'Urbs à la fin de l'Empire, tous sous le contrôle d'un clergé spécifique. Le plus grand sanctuaire d'Isis à Rome (Iséum) est au Champ de Mars et comporte un temple avec obélisques et sculptures égyptiennes ou égyptisantes (sphinx, cynocéphales..) ainsi qu'une représentation du Nil.

n° J5

Dénomination: Denier

Impératrice: Julia Domna

Avers: IVLIA - AVGVSTA - Buste drapé à droite.

Revers: SAECVLI - FELICITAS - Isis debout à droite, posant le pied sur une proue de vaisseau et allaitant Horus qu’elle tient dans ses bras ; derrière elle, la poupe contre laquelle est posé un gouvernail.

Atelier (année de frappe): Rome (201)

Références: RSC 174 (30£) - RIC S577 (C) - BMC SC75-82 - Hill 504 (C3) - BnF 6644-5, Maspéro 1967/621

Caractéristiques: Argent, 18mm, 3.21g, 6h. - Ex. HD Rauch New York Auction 2009 n°123

Note: Ce type existe aussi à Laodicée. Il peut être mis en relation avec le voyage de Septime Sévère dans la province égyptienne en 200.

Commentaire:

Sur notre denier, on voit Isis coiffée du polos (ou s'agit-il d'un siège, son hiéroglyphe?) comme sur cette statuette ci-dessous.


Statuette d'Isis de l'époque ptolémaïque (Musée du Louvre, Paris)

Elle est debout sur un navire dont on distingue à droite la proue et à gauche la poupe (interprétée par H. Cohen comme un autel) avec le gouvernail. Il faut indiquer qu'Isis est une divinité particulièrement invoquée par les marins. Voici ce que dit le dictionnaire de Daremberg et Saglio à cet effet: "Désignée par l'épithète de pelagia, Isis préside à la navigation ; le nom de Pharia (Phariê), qui rappelle son origine égyptienne, semble lui avoir convenu particulièrement quand on l'envisageait comme divinité marine ; adorée dans la petite île de Pharos, en avant d'Alexandrie, à côté du fameux phare de Sostrate, Pharus, elle veillait sur les matelots en danger. De là son culte se propagea rapidement le long des côtes de la Méditerranée. On lui dédiait des ex-voto quand on avait échappé à la tempête ; dans les ports on trouvait des peintres qui avaient pour spécialité de représenter sur des tableaux votifs les naufragés secourus par Isis pelagia ; suivant Juvénal, c'était un métier qui nourrissait son homme." Le gouvernail fait aussi référence à une autre assimilation d'Isis: la Fortune. Les fonctions d'Isis sont en effet nombreuses: déesse-mère présidant aux saisons et à l'agriculture, déesse-reine à l'image de Junon, déessee de la santé, de l'amour, etc.
Type divin de l'amour maternel, elle tient dans ses bras son fils Horus enfant ou Harpocrate qu'elle allaite (Isis lactens) et cette image n'est pas sans rappeler les vierges à l'enfant gothiques ou de la Renaissance. C'est donc Julia Domna, par l'intermédiaire de la déesse égyptienne qui est honorée en tant que mère. Le nouvel âge d'or promis par la légende de revers de ce denier est mis sous le patronage de la divinité égyptienne et d'une civilisation plusieurs fois millénaires.


Statuette d'Isis allaitant Harpocrate (Musée du Louvre, Paris)

Enfin, je ne peux m'empêcher de signaler ici une monnaie exceptionnelle, citée par tous les ouvrages de référence et figurant Isis au revers. Il s'agit d'un auréus rarissime de Caracalla frappé en 215 et présentant Isis tenant le sistre et présentant des épis de céréales à l'empereur. Ce dernier est en tenue militaire tenant une haste et posant un pied sur un crocodile!


Aureus de Caracalla (Rome, 215)
Numismatica Ars Classica NAC AG Auction 38 (21/03/2007), lot 109.
Ex ventes Hirsch 29, 1910, Lambros, 1172 et Leu 22, 1979, 304.

Le sistre est un instrument de musique égyptien accompagnant danses et cérémonies religieuses. Il revêt donc une fonction sacrée. 


Sistre (Musée du Louvre, Paris)

Isis a sur cette monnaie les fonctions de Cérès, car le sistre a un rôle magique dans les crues du Nil indispensables à l'agriculture et les épis rappellent que l'Egypte est un des greniers à blé de Rome. Cette monnaie d'exception commémore la visite de Caracalla à Alexandrie en 215 et le crocodile vaincu n'est pas sans rappeler les monnaies d'Auguste avec ce reptile et la légende AEGVPTO CAPTA (l'Egypte captive). Il faut savoir que l'Egypte est une province impériale depuis la chute de Cléopatre VII et qui a gardé un statut particulier durant tout l'Empire: cette monnaie évoque donc encore la domination de Rome sur l'Egypte.

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