dimanche 21 juin 2015

Un Génie sur un denier de Géta Auguste (Rome, 210)

En 210, Géta entame sa deuxième année de règne en tant qu'Auguste. A ce moment de l'Empire, pour la première fois, trois empereurs se partagent le pouvoir, même si l'on imagine que le père, Septime Sévère, le détient en réalité. Les trois empereurs sont alors en campagne en Bretagne et des émissions monétaires spéciales généralement avec la légende VICTORIAE BRIT célèbrent les victoires aux frontières de cette province septentrionale. Dans le cadre de ces émissions, certaines monnaies sont communes aux trois Augustes. Cependant, des émissions ordinaires avec des légendes datées sont également livrées aux troupes et au peuple avec une répartition bien précise des types monétaires. Jupiter, Neptune et Salus sont présents sur les deniers du père, Concordia et Virtus pour le fils aîné et Felicitas et le Génie illustrent ceux du cadet. 


n° G42 

Dénomination: Denier

Empereur: Géta

Avers: IMP CAES P SEPT GETA PIVS AVG - Tête laurée à droite.

Revers: PONTIF TR P II COS II - Génie debout de face, tête à gauche, sacrifiant avec une patère dans la main droite au-dessus d'un autel allumé et tenant des épis de blé de la main droite.

Atelier (année de frappe): Rome (210)

Références: RSC 140 (50£) - RIC 70b (C) - BMC G43-5 - Hill 1085 (S2) - BnF 7069-7070.

Caractéristiques: Argent, 19mm, 2.89g, 7h - Ex. HD Rauch Sommer Auktion 2012 n° 1112.

Commentaire: 
Le Génie est certainement celui de l'empereur, on le voit ici dans l'attitude de la libation au-dessus d'un autel allumé. Il s'agit donc de l'essence-même de l'Empire qui est ici représentée comme le dit l'auteur du BMC, car brûler de l'encens au Génie de l'Empereur était le gage conventionnel de la loyauté envers celui qui présidait aux destinées de l'Imperium. Le Génie est souvent assimilé à Bonus Eventus et sur notre monnaie, les épis sont l'attribut traditionnel de ce numen, Genius portant plutôt une corne d'abondance. Cette iconographie fait écho à un passage de l'Histoire Naturelle de Pline l'Ancien (livre XXXIV traitant du cuivre) où il décrit une statue d'Euphranor similaire à la représentation de notre monnaie: "simulacrum Boni Eventus dextra pateram, sinistra spicam ac papavera tenens". La description précise donc qu'il porte en fait un épi de blé et un coquelicot (pavot). Il est très probable, comme on peut le voir sur certaines monnaies, que sur le revers de ce denier il y ait bien deux épis de blé, tête en bas, et un coquelicot avec la fleur vers le haut le long du bras. 


Agrandissement de la main gauche du Génie à gauche, interprétation à droite: en rose la main, en jaune deux épis et en rouge le pavot.

Epis de blé et pavot font écho aux attributs que l'on retrouve aussi sur des statues de Cérès comme sur celle-ci du Musée du Louvre datée des années 235-250.


Détail d'une statue de femme en Cérès de la collection Borghèse (Musée du Louvre, Paris)

dimanche 16 novembre 2014

Le portrait de Caracalla durant son règne seul et l'Annone sur un denier (Rome, 212)

Si Septime Sévère émet des monnaies avec l'Annone debout ou assise, Caracalla va plutôt privilégier une représentation voilée et assise de cette personnification. Elle n'apparaît dans son monnayage que durant cette seule année 212 et uniquement sur les deniers. Nous sommes au tout début du règne seul et il doit imposer son pouvoir après les massacres des partisans de son frère Géta assassiné peu avant. La figure de l'Annone est destinée à rassurer la population sur l'approvisionnement de l'Urbs en grains après ces événements qui pouvaient faire craindre une nouvelle guerre civile. Mais intéressons-nous plus précisément avec cette monnaie à son avers et au portrait de l'empereur. 


n° C128

Dénomination: Denier

Empereur: Caracalla

Avers: ANTONINVS PIVS - AVG BRIT - Tête laurée à droite

Revers: P M TR P XV COS III P P - Annone voilée assise à gauche, tenant une corne d'abondance de la main gauche et deux épis de blé de la main droite au-dessus d'un modius placé à ses pieds d'où sortent deux autres épis.

Atelier (année de frappe): Rome (212)

Références: RSC 205 (25£) - RIC 195 (C) - BMC 44 - Hill 1324 (C) - BnF 6787

Caractéristiques: Argent, 18mm, 3.38g, 7h - Ex. Pecumen Auction 6 n°445.

Note: Cohen voyait plutôt dans ce type une représentation de l'Abondance, mais cette dernière est plutôt assise sur un siège fait de cornes d'abondance et il n'y a pas de modius devant la personnification.

Commentaire:
Jean Babelon, conservateur du Cabinet des Médailles de 1937 à 1961, a rédigé un ouvrage consacré au portrait dans l'Antiquité d'après les monnaies. Voyons ce qu'il dit au sujet de Caracalla: "chez [lui], cette dignité assez âpre devient une affectation de férocité, dont tous les bustes du prince brutal reçoivent l'empreinte. A cet expressionnisme outrancier s'allie une autre tendance, car Bassien [...] prétendait ressembler à Alexandre: "Magnum atque Alexandrum se jussit appellari", dit Aurelius Victor. [...] Cette ressemblance avec le conquérant macédonien fut une hantise durant tout l'Empire, et nous verrons Constantin, à son tour, lever les yeux au ciel, à l'imitation de son illustre modèle. Caracalla affectait, dit-on, de pencher la tête sur l'épaule, et levait les yeux lui aussi." 
Cette évocation transparaît très bien dans le célèbre buste qui correspond au premier portrait officiel de son règne seul (ersten Alleinherrschertypus). On ne connaît pas le nom du sculpteur (on parle du "Maître de Caracalla" pour l'évoquer) et le prototype des "répliques" que l'on connaît a disparu. Deux de ces copies datées de la période 212-215 sont illustrées ci-dessous.


Buste de Caracalla dans la salle des Empereurs du musée du Capitole à Rome (à gauche) et buste de Caracalla déposé par le Louvre au musée archéologique de Lyon (à droite)

On en trouve de nombreux exemplaires dans les musées (Naples, Berlin, etc.) et il a même trouvé une postérité sous le règne de Louis XIV avec des exemplaires réalisés en bronze (voir salles des Objets d'art du XVIIème siècle au Louvre par exemple). 
Sous des airs ombrageux voire menaçants et où son caractère colérique est évoqué, l'Empereur avait la volonté d'asseoir à l'aide de ses portraits son pouvoir, éventuellement par la terreur, tout en défiant ses ennemis de son regard. On retrouve sur ces bustes les mêmes caractéristiques que sur le denier, à savoir le cou puissant, les cheveux bouclés courts et la barbe qui est également courte rompant ainsi avec l'image aux airs de Sérapis de son père. Les rides au front et le sourcil menaçant sont particulièrement bien évoqués, même sur un aussi petit objet (moins de 2cm de diamètre) qu'est une monnaie d'argent.
Mais laissons le dernier mot à J. Babelon: "Mais, au fait, c'est plutôt le muffle d'un lion qu'évoquent le profil et la toison frisée du fils de Sévère, quand il fronce le sourcil". C'est exactement cette image qu'illustre notre portrait monétaire! Comme sur le buste, la monnaie nous montre un portrait à la fois idéalisé dans sa volonté de ressembler au héros macédonien et réaliste, conforme à la fois aux textes historiques et à l'image que l'Empereur voulait donné à ses sujets et à ses ennemis. 

lundi 10 novembre 2014

Un très rare type de Géta avec Minerve précédée d'un serpent (Rome, 206)

Ce denier de Géta est un type d'une rareté insigne. En effet, avant la découverte de cette monnaie, seul un exemplaire connu était conservé au kunsthistorisches Museum de Vienne (n°15624). Il est en effet absent des autres grandes collections institutionnelles comme Londres ou Paris ou de trésors comme celui de Reka-Devnia. Cependant, Cohen connaissait l'existence de cette monnaie, car il a certainement eu entre les mains le Synopsis numorum romanorum qui in Museo Caesareo Vindobonensi adservantur rédigé par J. Arneth en 1837. Cohen avait attribué à ce denier le numéro 86 de son ouvrage en y indiquant la provenance (V), mais il avait fait une erreur dans sa description, indiquant une tête au lieu d'un buste drapé au droit. Ceci a eu pour conséquence lors de la rédaction du BMC de remettre en cause ce type, les auteurs de ce catalogue n'ayant certainement pas fait le déplacement en Autriche afin de confirmer l'existence de la monnaie. Cela est d'autant plus surprenant que d'autres auteurs connaissaient l'existence de cette monnaie à Vienne: ainsi Mionnet et Akerman citent le père Khell en parlant d'elle. Ce dernier avait rédigé en 1767 un supplément au catalogue de Vaillant où le premier il mentionnait ce type mais sans l'illustrer. La monnaie était présente dans la collection du comte Ariosti qui avait ensuite été intégralement achetée par le cabinet viennois. Il est aussi étonnant que Hill l'avait oublié dans son corpus à moins qu'il considérait la monnaie du Cabinet de Vienne comme étant un faux à la suite de Mattingly, l'auteur du BMC qui l'avait jugée douteuse. L'arrivée d'un second exemplaire sur le marché, partageant le même coin de droit mais de revers différent, confirme donc l'authenticité de ce denier.
Cette monnaie fait donc partie des types les plus rares de Géta, d'autant qu'il n'existe ni pour les autres métaux frappés pour le jeune César, ni pour les monnaies des autres membres de la famille impériale.


n° G45 

Dénomination: Denier

Empereur: Géta

Avers: P SEPTIMIVS - GETA CAES - Buste drapé à droite.

Revers: MINERVAE - VICTRICI - Minerve avançant à gauche, brandissant son javelot et tenant un bouclier ; à ses pieds, un serpent la précède.

Atelier (année de frappe): Rome (206 ou 207?)

Références: RSC 86 (120£) - RIC 47 (R) - BMC 454 note - Hill / - BnF / 

Caractéristiques: Argent, 20mm, 3.49g, 6h - Ex. CNG e-Auction 309 n°322.

Note: après vision à fort grossissement du bouclier, il est fort probable que ce dernier était orné d'une tête de Méduse.

Commentaire:

F. Schmidt-Dick qui a rédigé un atlas des types monétaires romains, illustre ce type (f7A/01) par l'exemplaire viennois, alors le seul connu. Il n'y a pas d'autre équivalent de ce type dans le monnayage romain. Cependant, Minerve est très souvent utilisée comme divinité tutélaire par les jeunes Césars destinés à la pourpre comme c'est le cas pour Géta. Domitien avant lui en avait fait sa déesse personnelle et un type courant où Minerve armée de son bouclier rond brandit sa lance a eu une certaine postérité auprès des Antonins. Or sur ce type, elle est orientée à droite et il n'y a pas de serpent (mais parfois une chouette). Néanmoins, un type pour Domitien justement, est très proche du nôtre, à savoir Minerve avançant à gauche. Il y a pourtant des différences: l'absence du serpent toujours et la présence d'ailes dans le dos de la déesse. 
Décrivons un peu plus précisément ce type de denier pour Géta, Minerve y est casquée, ce qui permet de la reconnaître ainsi que par la présence de son bouclier rond. Elle porte une tunique et sa palla, le manteau féminin, flotte au vent. Elle brandit une lance, pointe vers le bas, en direction d'un serpent cornu qui la précède. L'animal, ne rampe pas, mais est dressé formant des circonvolutions. Pour tenter de comprendre cette monnaie il faut la replacer dans le cadre des émissions exceptionnelles frappées en 206-207 afin de célébrer les quinze de règne de Septime Sévère. Des monnaies excessivement rares sont émises comme les deniers et aurei à la légende PROVIDENTIA. Trois monnaies exceptionnelles de Géta peuvent être rapprochées de notre denier par leur iconographie: un buste de Minerve, Minerve tenant sa lance ainsi qu'une chouette et le temple d'Echmoun. Cette dernière montre Asclepios-Echmoun entre deux serpents. Il y a peut-être un lien à faire entre Minerve troisième élément de la triade capitoline et Echmoun qui possède la même place chez les Phéniciens. Il faut ici rappeler les origines puniques de la famille des Sévères. Mais même sans ces explications, le serpent est un des attributs de Minerve. En effet, d'après Plutarque, on disait qu'un serpent habitait la crypte de l'Erechtheion d'Athènes, temple consacré à Athéna, la Minerve grecque. Le serpent apparaît alors comme un gardien de la déesse, vierge et chaste. Il semblerait aussi qu'une statue de Minerve existait à Rome avec, à ses pieds, un serpent enroulé sur lui-même, certainement en souvenir du serpent athénien. La Minerve Medica dite "Giustiniani" parvenue jusqu'à nous en est une réminiscence. Il faut maintenant tenter de rattacher l'iconographie à la légende MINERVAE VICTRICI, "à Minerve victorieuse". Le serpent pourrait alors faire référence à l'Encelade, ce géant anguipède, mis hors de combat par la lance de la déesse et enterré sous l'Etna. Il pourrait alors n'être plus le symbole bénéfique accompagnant la déesse et donc le jeune César, mais l'ennemi vaincu par lui. Dans ce cas, de quel ennemi s'agit-il? Il pourrait s'agir de mystérieux combats en Afrique mentionnés par d'autres monnaies, mais dont les textes sont silencieux ou à mettre en relation avec la préparation de la campagne britannique. On voit qu'il est très difficile d'avoir une explication définitive quant au sens de cette iconographie.
Finissons la présentation de cette monnaie par le commentaire de Khell lui-même à la fin du XVIIIème siècle: "j'espère ne pas être trop indulgent envers les collections autrichiennes, si j'accorde les louanges "d'intérêt exceptionnel" à cette monnaie du fait de son type de revers".


Statue de Minerve (Musée Chiaramonti - Vatican)

lundi 9 juin 2014

A Mars Pacificateur sur un denier de Caracalla (Rome, 211)

La légende de ce denier au datif, MARTI PACATORI, "à Mars pacificateur", est explicite et parfaitement cohérente avec la représentation de Mars tenant un rameau d'une main et ayant déposé ses armes sur le côté. Le dieu de la guerre est ici représenté à moitié nu, comme c'est l'usage pour une divinité, et casqué. Cette image est cependant unique dans le monnayage romain: aucun autre empereur n'a utilisé avant lui cette représentation et elle sera sans postérité. On trouve en effet d'autres iconographies de Mars Pacator sur des monnaies impériales, mais où le dieu est en fait entièrement nu portant une draperie sur l'épaule et sans son bouclier (Commode ou Septime Sévère). La représentation la plus courante est celle où il est revêtu d'une cuirasse comme sur des monnaies de Sévère Alexandre, de Caracalla encore ou des "empereurs soldats" tels que Gordien III ou Trébonien Galle.


n° C113

Dénomination: Denier

Empereur: Caracalla

Avers: ANTONINVS PIVS - AVG BRIT - Tête laurée à droite.

Revers: MARTI - PA-CATORI - Mars, nu jusqu'à la taille, debout de face, tête casquée à gauche, tenant un rameau de la main droite et une haste de la main gauche qui repose contre un bouclier posé au sol. 

Atelier (année de frappe): Rome (211)

Références: RSC 149 (25£) - RIC 222 (S) - BMC SG81-6 - Hill 1294 (C) - BnF 6747-8

Caractéristiques: Argent, 18mm, 3.14g, 6h - Ex. Cayon Auction May 2012 n°4887.

Commentaire:

L'émission de ce denier, selon P. V. Hill, intervient à un moment où la campagne de Bretagne est terminée. Il place en effet ce denier durant le règne conjoint des deux frères ennemis Caracalla et Géta, peu après la mort de leur père à York le 4 février 211. Le message délivré par cette monnaie est en tout cas très clair et permet une alternative à la très classique Victoria. La campagne militaire que les Romains ont mené en Bretagne s'est soldée par le retour de la paix symbolisé par ce dieu guerrier: si vis pacem para bellum.