dimanche 16 novembre 2014

Le portrait de Caracalla durant son règne seul et l'Annone sur un denier (Rome, 212)

Si Septime Sévère émet des monnaies avec l'Annone debout ou assise, Caracalla va plutôt privilégier une représentation voilée et assise de cette personnification. Elle n'apparaît dans son monnayage que durant cette seule année 212 et uniquement sur les deniers. Nous sommes au tout début du règne seul et il doit imposer son pouvoir après les massacres des partisans de son frère Géta assassiné peu avant. La figure de l'Annone est destinée à rassurer la population sur l'approvisionnement de l'Urbs en grains après ces événements qui pouvaient faire craindre une nouvelle guerre civile. Mais intéressons-nous plus précisément avec cette monnaie à son avers et au portrait de l'empereur. 


n° C128

Dénomination: Denier

Empereur: Caracalla

Avers: ANTONINVS PIVS - AVG BRIT - Tête laurée à droite

Revers: P M TR P XV COS III P P - Annone voilée assise à gauche, tenant une corne d'abondance de la main gauche et deux épis de blé de la main droite au-dessus d'un modius placé à ses pieds d'où sortent deux autres épis.

Atelier (année de frappe): Rome (212)

Références: RSC 205 (25£) - RIC 195 (C) - BMC 44 - Hill 1324 (C) - BnF 6787

Caractéristiques: Argent, 18mm, 3.38g, 7h - Ex. Pecumen Auction 6 n°445.

Note: Cohen voyait plutôt dans ce type une représentation de l'Abondance, mais cette dernière est plutôt assise sur un siège fait de cornes d'abondance et il n'y a pas de modius devant la personnification.

Commentaire:
Jean Babelon, conservateur du Cabinet des Médailles de 1937 à 1961, a rédigé un ouvrage consacré au portrait dans l'Antiquité d'après les monnaies. Voyons ce qu'il dit au sujet de Caracalla: "chez [lui], cette dignité assez âpre devient une affectation de férocité, dont tous les bustes du prince brutal reçoivent l'empreinte. A cet expressionnisme outrancier s'allie une autre tendance, car Bassien [...] prétendait ressembler à Alexandre: "Magnum atque Alexandrum se jussit appellari", dit Aurelius Victor. [...] Cette ressemblance avec le conquérant macédonien fut une hantise durant tout l'Empire, et nous verrons Constantin, à son tour, lever les yeux au ciel, à l'imitation de son illustre modèle. Caracalla affectait, dit-on, de pencher la tête sur l'épaule, et levait les yeux lui aussi." 
Cette évocation transparaît très bien dans le célèbre buste qui correspond au premier portrait officiel de son règne seul (ersten Alleinherrschertypus). On ne connaît pas le nom du sculpteur (on parle du "Maître de Caracalla" pour l'évoquer) et le prototype des "répliques" que l'on connaît a disparu. Deux de ces copies datées de la période 212-215 sont illustrées ci-dessous.


Buste de Caracalla dans la salle des Empereurs du musée du Capitole à Rome (à gauche) et buste de Caracalla déposé par le Louvre au musée archéologique de Lyon (à droite)

On en trouve de nombreux exemplaires dans les musées (Naples, Berlin, etc.) et il a même trouvé une postérité sous le règne de Louis XIV avec des exemplaires réalisés en bronze (voir salles des Objets d'art du XVIIème siècle au Louvre par exemple). 
Sous des airs ombrageux voire menaçants et où son caractère colérique est évoqué, l'Empereur avait la volonté d'asseoir à l'aide de ses portraits son pouvoir, éventuellement par la terreur, tout en défiant ses ennemis de son regard. On retrouve sur ces bustes les mêmes caractéristiques que sur le denier, à savoir le cou puissant, les cheveux bouclés courts et la barbe qui est également courte rompant ainsi avec l'image aux airs de Sérapis de son père. Les rides au front et le sourcil menaçant sont particulièrement bien évoqués, même sur un aussi petit objet (moins de 2cm de diamètre) qu'est une monnaie d'argent.
Mais laissons le dernier mot à J. Babelon: "Mais, au fait, c'est plutôt le muffle d'un lion qu'évoquent le profil et la toison frisée du fils de Sévère, quand il fronce le sourcil". C'est exactement cette image qu'illustre notre portrait monétaire! Comme sur le buste, la monnaie nous montre un portrait à la fois idéalisé dans sa volonté de ressembler au héros macédonien et réaliste, conforme à la fois aux textes historiques et à l'image que l'Empereur voulait donné à ses sujets et à ses ennemis. 

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