mardi 27 juillet 2010

Le surnom de Caracalla et ses titres sur un denier (Rome, 200)

Caracalla n'est que le surnom (cognomen) du jeune prince, il n'apparait donc pas sur les monnaies. Il s'agit en fait du nom d'un manteau gaulois qu'il affectionnait parait-il beaucoup. Voici ce qu'en dit l'Histoire Auguste: "Quant à son nom de Caracallus, il lui vint d'un type de vêtement qu'il avait fait distribuer au peuple et qui tombait jusqu'aux talons, ce qui ne se faisait pas auparavant. C'est pour cela  qu'aujourd'hui encore on donne le nom d'"antoninien" à ce genre de manteaux - caracalla - très utilisé par la plèbe romaine." Dion Cassius, qui est une source plus sérieuse apporte également son témoignage: "En effet, en Syrie et en Mésopotamie, il fit usage de l'habit et de la chaussure des Celtes. Il imagina une sorte de vêtement d'une coupe barbare, composé de morceaux cousus en forme de lacerne ; il s'en revêtit fréquemment, ce qui lui valut le surnom de Caracallus, et ordonna que les soldats surtout en fussent couverts." Son vrai nom est en fait Bassianus et son nom d'empereur est Antonin donné par son père afin de le rattacher fictivement à la dynastie précédente. Nous allons profiter de ce denier afin de commenter les titres composant la titulature de l'empereur sur cette monnaie. Un commentaire sur le revers interviendra sur un autre message, car il existe aussi sur des deniers avec la légende RECTOR(I) ORBIS.


n°C27

Dénomination: Denier

Empereur: Caracalla

Avers: ANTONINVS - AVGVSTVS - Buste lauré, drapé et cuirassé à droite.

Revers: PONTIF - TR P III - Caracalla (en Sol) nu debout à gauche, le manteau sur l'épaule gauche, tenant un globe de la main droite et une haste renversée de la gauche.

Atelier (année de frappe): Rome (200)

Références: RSC 413 (25£) - RIC 30a (C) - BMC S179-83 - Hill 434 (C4) - BnF 1 exemplaire (sans n°)

Caractéristiques: Argent, 18mm, 3.3g, 12h.

Note: cette monnaie existe aussi avec un buste uniquement drapé.

Commentaire:

Cette monnaie est le seul denier de Caracalla daté explicitement de 200 grâce à la troisième puissance tribunicienne qui se déploie au revers en prolongement de la titulature du droit. La puissance tribunicienne (tribunicia postestas) représentait à l'origine (sous la République) l'autorité et les moyens d'action du tribun de la plèbe, magistrat chargé de représenter cette partie des citoyens. Tous les empereurs depuis le premier, Auguste, se sont fait attribuer ces pouvoirs à vie, car ils sont alors intouchables (sacrosanctus), ont un droit de veto et un pouvoir judiciaire à l'intérieur de la cité, ce qu'ils n'avaient pas avec l'imperium consulaire. Avec l'imperium civil et militaire et la puissance tribunicienne, les empereurs ont alors la toute-puissance.
Depuis 199, la titulature du jeune Caracalla est simplement constituée de son nom, Antoninus, suivi du surnom du premier princeps, Augustus. Ce terme est une sorte de formule de respect presque sacrée. En tout cas, l'adjonction par Octave de ce cognomen a fait passé son détenteur de l'imperium, le pouvoir militaire, à l'auctoritas, l'autorité naturelle qui est généralement associée aux dieux. Cette auctoritas assure la prééminence du prince sur les autres citoyens. Tous les empereurs à la suite d'Octave ont reçu (ou se sont appropriés) ce surnom d'Auguste. C'est lui qui fait véritablement l'empereur. Ainsi une prise de pouvoir par un usurpateur est effective lorsque ce dernier prend le titre d'Auguste, il y en a alors deux: un légitime reconnu par le Sénat et un usurpateur (qui peut devenir ensuite légitime, s'il parvient à éliminer son rival...)  Enfin, la légende de revers fait également mention du pontificat, charge religieuse que Caracalla assume depuis 197, le pontificat suprême étant assuré par son père Septime Sévère.

mercredi 21 juillet 2010

Isis sur un denier de Julia Domna (Rome, 201)

Il n'est pas rare de rencontrer sur le monnayage impérial des divinités orientales comme Cybèle ou Sérapis, les Sévères les prisant tout particulièrement. Cependant, malgré sa popularité à Rome, la grande déesse égyptienne Isis est quasiment absente du monnayage romain à légende latine. Voici donc une très rare occurrence sur un denier de Julia Domna. Et encore, la légende ne décrit pas explicitement Isis, mais fait appel à la Félicité.
Le culte d'Isis, déesse égyptienne, se développe à Rome au cours du premier siècle après Jésus-Christ et devient public sous Caligula. Au IIIème siècle, les cultes égyptiens sont en vogue et on compte pas moins de sept temples consacrés à Isis et Sérapis dans l'Urbs à la fin de l'Empire, tous sous le contrôle d'un clergé spécifique. Le plus grand sanctuaire d'Isis à Rome (Iséum) est au Champ de Mars et comporte un temple avec obélisques et sculptures égyptiennes ou égyptisantes (sphinx, cynocéphales..) ainsi qu'une représentation du Nil.

n° J5

Dénomination: Denier

Impératrice: Julia Domna

Avers: IVLIA - AVGVSTA - Buste drapé à droite.

Revers: SAECVLI - FELICITAS - Isis debout à droite, posant le pied sur une proue de vaisseau et allaitant Horus qu’elle tient dans ses bras ; derrière elle, la poupe contre laquelle est posé un gouvernail.

Atelier (année de frappe): Rome (201)

Références: RSC 174 (30£) - RIC S577 (C) - BMC SC75-82 - Hill 504 (C3) - BnF 6644-5, Maspéro 1967/621

Caractéristiques: Argent, 18mm, 3.21g, 6h. - Ex. HD Rauch New York Auction 2009 n°123

Note: Ce type existe aussi à Laodicée. Il peut être mis en relation avec le voyage de Septime Sévère dans la province égyptienne en 200.

Commentaire:

Sur notre denier, on voit Isis coiffée du polos (ou s'agit-il d'un siège, son hiéroglyphe?) comme sur cette statuette ci-dessous.


Statuette d'Isis de l'époque ptolémaïque (Musée du Louvre, Paris)

Elle est debout sur un navire dont on distingue à droite la proue et à gauche la poupe (interprétée par H. Cohen comme un autel) avec le gouvernail. Il faut indiquer qu'Isis est une divinité particulièrement invoquée par les marins. Voici ce que dit le dictionnaire de Daremberg et Saglio à cet effet: "Désignée par l'épithète de pelagia, Isis préside à la navigation ; le nom de Pharia (Phariê), qui rappelle son origine égyptienne, semble lui avoir convenu particulièrement quand on l'envisageait comme divinité marine ; adorée dans la petite île de Pharos, en avant d'Alexandrie, à côté du fameux phare de Sostrate, Pharus, elle veillait sur les matelots en danger. De là son culte se propagea rapidement le long des côtes de la Méditerranée. On lui dédiait des ex-voto quand on avait échappé à la tempête ; dans les ports on trouvait des peintres qui avaient pour spécialité de représenter sur des tableaux votifs les naufragés secourus par Isis pelagia ; suivant Juvénal, c'était un métier qui nourrissait son homme." Le gouvernail fait aussi référence à une autre assimilation d'Isis: la Fortune. Les fonctions d'Isis sont en effet nombreuses: déesse-mère présidant aux saisons et à l'agriculture, déesse-reine à l'image de Junon, déessee de la santé, de l'amour, etc.
Type divin de l'amour maternel, elle tient dans ses bras son fils Horus enfant ou Harpocrate qu'elle allaite (Isis lactens) et cette image n'est pas sans rappeler les vierges à l'enfant gothiques ou de la Renaissance. C'est donc Julia Domna, par l'intermédiaire de la déesse égyptienne qui est honorée en tant que mère. Le nouvel âge d'or promis par la légende de revers de ce denier est mis sous le patronage de la divinité égyptienne et d'une civilisation plusieurs fois millénaires.


Statuette d'Isis allaitant Harpocrate (Musée du Louvre, Paris)

Enfin, je ne peux m'empêcher de signaler ici une monnaie exceptionnelle, citée par tous les ouvrages de référence et figurant Isis au revers. Il s'agit d'un auréus rarissime de Caracalla frappé en 215 et présentant Isis tenant le sistre et présentant des épis de céréales à l'empereur. Ce dernier est en tenue militaire tenant une haste et posant un pied sur un crocodile!


Aureus de Caracalla (Rome, 215)
Numismatica Ars Classica NAC AG Auction 38 (21/03/2007), lot 109.
Ex ventes Hirsch 29, 1910, Lambros, 1172 et Leu 22, 1979, 304.

Le sistre est un instrument de musique égyptien accompagnant danses et cérémonies religieuses. Il revêt donc une fonction sacrée. 


Sistre (Musée du Louvre, Paris)

Isis a sur cette monnaie les fonctions de Cérès, car le sistre a un rôle magique dans les crues du Nil indispensables à l'agriculture et les épis rappellent que l'Egypte est un des greniers à blé de Rome. Cette monnaie d'exception commémore la visite de Caracalla à Alexandrie en 215 et le crocodile vaincu n'est pas sans rappeler les monnaies d'Auguste avec ce reptile et la légende AEGVPTO CAPTA (l'Egypte captive). Il faut savoir que l'Egypte est une province impériale depuis la chute de Cléopatre VII et qui a gardé un statut particulier durant tout l'Empire: cette monnaie évoque donc encore la domination de Rome sur l'Egypte.

vendredi 16 juillet 2010

Un modius au pied de l'Annone - Denier de Septime Sévère (Rome, 205)

En 205, est frappé ce denier au revers figurant l'Annone. Cette personnification représente l'approvisionnement de la ville de Rome en grains, cité de plus d'un million d'habitants. A la tête de l'administration de l'Annone un préfet est chargé du bon acheminement par voie maritime des céréales en provenance d'Afrique du nord ou de Sicile. Ces céréales sont ensuite stockées dans des entrepôts d'Etat (horrea). L'Annone est également responsable de la distribution gratuite (congiaire) aux 200 000 bénéficiaires de la plèbe et de la vente à bas prix aux boulangeries. Sous Septime Sévère, de l'huile est également distribuée en plus des grains.
Hill place cette monnaie au sein de la 19ème émission qui voit pour Sévère la frappe de deniers et aurei célébrant la cinquième libéralité, année où ses fils Caracalla et Géta sont investis respectivement de leur second et premier consulat. Lors de cette libéralité des dons en nature ont très certainement été versés, ce que souligne la symbolique présente au revers de notre monnaie.


n° S6

Dénomination: Denier

Empereur: Septime Sévère

Avers: SEVERVS - PIVS AVG - Tête laurée à droite.

Revers: P M TR P XIII - COS III P P - L'Annone debout à gauche, tenant des épis de la main droite et une corne d'abondance de la gauche ; à ses pieds le modius rempli d'épis.

Atelier (année de frappe): Rome (205)

Références: RSC 472 (25£) - RIC 198 (C) - BMC 475 - Hill 696 (S2) - BnF 6457

Caractéristiques: Argent, 19mm, 3g, 6h. - Ex. Guy Braun

Commentaire:

On voit sur ce denier trois des attributs traditionnels de l'Annone: les épis de céréale, la corne d'abondance et le modius. Les autres attributs, proue et gouvernail, font plus référence au transport pour le ravitaillement de Rome.
Le modius est une unité de mesure romaine pour les volumes de matière sèche comme les grains, il désigne aussi le boisseau servant de récipient. Pour les liquides, c'est l'amphore qui est utilisée. On pense que le modius devait faire un peu plus de 8,5 litres et il a donné en français le mot "muid" qui est une ancienne mesure de capacité pour les grains (variable suivant les villes et régions). L'approvisionnement de l'Urbs qui est un lieu de consommation et non de production a été capital durant toute l'histoire romaine, car si les navires chargés de céréales n'arrivaient pas à Ostie, le port de Rome, la cité pouvait être en proie à la disette et donc à la révolte. Cela explique la popularité du thème monétaire de l'Annone: l'empereur rassure le peuple sur le ravitaillement en temps et en heure de la ville et fait la promotion des distributions gratuites de céréales. C'est une des parties de la fameuse locution de Juvénal: panem et circenses, du pain et des jeux !


Un modius sur un quadrans de cuivre (la plus petite dénomination monétaire impériale) frappé sous Claude