Pourquoi collectionner les Sévères?

On me demande souvent pourquoi avoir choisi ce thème de collection. Le choix de la spécialisation s'est rapidement imposé à moi après avoir acquis quelques monnaies de différents empereurs et c'est certainement un coup de foudre pour mes premiers deniers de Caracalla qui m'a décidé. Mais le choix a été longuement mûri et je vais exposer ici les différentes raisons du choix de ce thème. La spécialisation est une notion toute relative, en effet pour un numismate collectionnant aussi bien les Euros que les royales ou les gauloises, collectionner les romaines (toutes périodes confondues) est déjà une spécialisation. Mais pour le collectionneur d'un empereur donné il s'agit là d'une collection généraliste. Le généraliste est très souvent un esthète qui fonctionne au coup de coeur et ne veut pas s'imposer des barrières artificielles dans ses choix. Il recherche très souvent les plus beaux exemplaires possibles et comme la qualité est majorée et il fera moins d'achats qu'un spécialiste. En romaine la collection généraliste par excellence est celle de la galerie de portraits où on essaie de posséder une monnaie de chaque empereur et membre de sa famille. Cet exercice trouve cependant rapidement ses limites pour certains souverains rarissimes. Le spécialiste sera moins regardant sur l'état de la monnaie, quoiqu'il aime aussi les belles pièces, mais n'hésitera pas à acquérir une monnaie plus usée, car elle manque à son corpus ou est une rareté qui ne repassera pas en vente de sitôt. Il voit sa collection avant tout comme un objet d'étude.

Mon domaine de collection est « les monnaies impériales romaines en argent de Septime Sévère et de sa famille ». Ce thème recouvre un cadre géographique, chronologique et numismatique bien précis. « Impériales romaines » fixe un cadre chronologique large (ce n'est pas la République) qui est affiné par « Septime Sévère et sa famille » soit la période 193-217 (règne de Sévère, Caracalla et Géta), mais aussi un cadre géographique. En effet, « impériales » s'oppose à « provinciales », c'est-à-dire que les monnaies émises l'ont été par le pouvoir central. Ce sont des espèces à légende latine qui ont circulé essentiellement dans la partie occidentale de l'Empire. Les monnaies provinciales (autrefois appelées coloniales) ont été frappées par des cités avec l'aval de Rome et sont généralement à légende grecque et ont donc circulé localement autour des cités de la partie orientale de l'Empire. Enfin, « argent » indique que les dénominations en bronze et en or sont exclues de la collection. Il y a néanmoins comme toujours des exceptions, ainsi des monnaies postérieures à 217 sont inclues dans la collection: il s'agit de monnaies de consécration de membres de la famille impériale frappées après 217. De même, si les monnaies collectionnées sont quasiment toutes officielles, des imitations d'époque en alliage cuivreux sont aussi conservées.

Les raisons du choix de mon thème de collection reposent sur trois éléments principaux: prix, contexte, variété.

Le choix de l'argent s'est imposé rapidement, car il est plus facile de trouver pour des raisons de conservation, des monnaies en argent bien conservées que des monnaies d'alliage cuivreux. Pour la période des Sévères, l'argent est bien plus abordable que pour les premières dynasties impériales, voire la République ou le Bas-Empire. Seules les monnaies de la période dite d' « anarchie militaire » (terme impropre, on emploiera plutôt la notion de crise du IIIème siècle) sont moins chères sur le marché, mais le taux d'argent est inférieur à 50% et la qualité des frappes est dégradée. Plus que le "bronze" et le rare or, l'argent est aussi très abondant durant cette période. Si les types sont souvent partagés entre les différents métaux, certains n'existent qu'en argent.

Pour le contexte: le début de la dynastie sévérienne est une période charnière de l'Histoire romaine entre le Haut et le Bas Empire, c'est le début d'une époque militairement active où les légions font les empereurs et où la pression des peuples à l'extérieur des frontières de l'Empire se fait de plus en plus forte. Septime Sévère, d'usurpateur, devient empereur légitime et doit affronter ses compétiteurs dans une guerre civile. Il fera également des campagnes militaires extérieures qui trouveront sur les monnaies matière à expression. De plus, l'homme a une personnalité intéressante: l'empereur africain est un provincial qui ne se défera jamais tout à fait de son accent punique et sa femme est syrienne, fille du roi-prêtre d'Emèse. Rome n'est donc plus dirigée par des « Romains », mais par des « orientaux ». D'un point de vue religieux, à côté des dieux traditionnels les divinités venues d'Orient trouvent aussi leur place sur les monnaies. Et puis, il y a un mariage, des Jeux, des complots, un fratricide, un fils brutal, des anecdotes nombreuses: l'histoire familiale est chargée et les monnaies révèlent en partie tout cela. Enfin, le style monétaire de la période est un sommet de l'art de la gravure romaine.

Pour terminer, variété est certainement le maître mot de la collection. Le cadre est suffisamment vaste (presque trop) pour avoir une vie complète à y consacrer et tous les aspects de la numismatique sont couverts:
  • Rareté: on y trouve en effet tous les niveaux de rareté possibles: des monnaies les plus courantes existant à des centaines d'exemplaires à celles moins courantes voire rarissimes. Les types sont d'ailleurs souvent accompagnés de variantes.
  • Dénominations: pour l'argent, à côté du denier et du rare quinaire, la période voit l'avènement d'une nouvelle dénomination, l'antoninien.
  • Ateliers: au début du règne plusieurs ateliers aux styles bien distincts émettent des monnaies.
  • Portraits: on pourrait croire les portraits de cette époque monotones. S'ils n'atteignent pas la variété de ceux de Probus, on distingue cependant des variantes intéressantes. Cependant l'attrait principal repose sur les membres de la famille (père, mère, fils et belle-fille) et leur évolution avec l'âge, en particulier des enfants qui grandissent et deviennent adultes. 
  • Types: à côté des divinités et personnifications, on trouve les types liés à l'exaltation des vertus de l'empereur, ses campagnes militaires, des monnaies de consécration ou présentant des types monétaires exceptionnels parmi les plus impressionnants du monnayage romain. Des séries existent aussi comme celle des légions ou des émissions dynastiques. Certaines représentations n'existent que dans ce monnayage.
  • Hybrides et imitations des types officiels constituent également une section intéressante de la collection. 
Tous ces éléments contribuent à créer une collection qui fait sens et qui permettent de ne pas s'ennuyer tant le sujet est vaste et passionnant. Voilà, j'espère avoir fait le tour de la question et levé un peu le voile sur le mystère...


 

Bustes de Septime Sévère, Julia Domna ainsi que de Géta et Caracalla (Musées capitolins, Rome)