dimanche 10 novembre 2013

Une émission posthume pour Caracalla frappée par Elagabale (Rome, 218)

Cette monnaie sort du cadre temporel du règne des premiers Sévères, mais elle représente néanmoins l'empereur Caracalla divinisé après sa mort. Comme le denier de Julia Domna, l'exemplaire présenté ici a sans doute été frappé en 218 par le fils de Julia Soaemias, cousine germaine de Caracalla, empereur connu sous le nom d'Elagabale. Les deux empereurs portent le même nom, Marc Aurèle Antonin, car Julia Maesa, soeur de Julia Domna, et ses filles font passer le petit Varius Avitus Bassianus pour un fils adultérin de Caracalla, en particulier auprès des soldats de la IIIème légion Gallica stationnée près d'Emèse où l'empereur Macrin les a reléguées.
Voici ce qu'en dit Dion Cassius, il parle d'ailleurs d'Elagabale en termes de "faux-Antonin":
"Les assiégés, en effet, à force de promener sur les remparts Avitus, que déjà ils appelaient M. Aurélius Antonin, de montrer de loin, comme étant son portrait, des images de Caracalla, enfant, dont il était, disaient-ils véritablement le fils [...]"
Hérodien évoque aussi cette usurpation de paternité:
"Cette femme [Julia Maesa], les voyant dans l'admiration de son enfant, leur fit un récit supposé ou véritable : elle leur annonça « que Bassianus était fils naturel d'Antonin, quoiqu'il passât pour le fils d'un autre ; qu'Antonin avait eu commerce avec ses filles qui étaient dans l'éclat de la jeunesse et de la beauté à l'époque où elle demeurait elle-même au palais avec sa sœur. » "
L'auteur de l'Histoire Auguste qui déteste Caracalla et Elagabale va même jusqu'à faire passer cette origine comme véritable!
Les chefs de la légion acclament finalement Elagabale empereur le 15 mai 218, par fidélité à Caracalla, aimé des légionnaires, mais aussi grâce à l'or donné par les princesses syriennes. Les partisans de ces dernières battent Macrin le 8 juin, elles ont réussi à remettre un "Sévère" au pouvoir.


n° C123 

Dénomination: Denier

Empereur: Caracalla

Avers: DIVO ANTONINO MAGNO - Tête nue à droite.

Revers: CONSECRATIO - Aigle de face, tête à droite, debout sur un globe.

Atelier (année de frappe): Rome (218)

Références: RSC 32 (350£) - RIC Sev Alex 717 (R2) - BMC Elag 7-8 - BnF 6692.

Caractéristiques: Argent, 18mm, 2.63g, 12h - Ex. fonds CGB.

Note: comme pour le denier de la divine Julia Domna, ce denier est classé au RIC par Mattingly et Sydenham en 1936 sous Sévère Alexandre, ce qui est bien tardif. Plus tard, les auteurs du catalogue du British Museum attribueront ces émissions posthumes à Elagabale en 218.

Commentaire:

Cette monnaie est assez rare, Cohen la cotait même 60 Frs. Il en est de même pour les émissions d'aes. Cette rareté est expliquée par les auteurs du BMC par la détestation des sénateurs envers Caracalla. Ils pensent, à juste titre, qu'ils ont dû voter l'émission monétaire correspondante sans enthousiasme voire même avec une certaine répulsion, car il existe en effet des sesterces, donc avec marques [Ex] S[enatus] C[onsulto], avec le portrait du divin Antonin.
Attardons nous justement sur ce portrait qui fait référence à Alexandre, modèle de Caracalla. Cela est d'ailleurs renforcé par la légende de droit DIVO ANTONINO MAGNO, "au divin Antonin le Grand". La barbe est plus soignée que sur les monnaies de son règne et il est tête nue, car désormais il siège au rang des dieux. C'est Macrin qui a divinisé Caracalla afin de plaire aux partisans des Sévères, mais il n'est certainement pas l'auteur des émissions monétaires.
L'aigle de Jupiter au revers est le médiateur entre l'empereur défunt et la divinité, c'est lui qui emmène son âme auprès du dieu des dieux. Au centre du plafond de l'arc de Titus, on voit d'ailleurs ce dernier emporté dans les cieux par l'animal tutélaire de Jupiter. Cette image fait référence à la fin de la cérémonie d'apothéose où un aigle s'envole du bûcher symbolisant l'âme portée au ciel au moment de la consumation de l'enveloppe corporelle du défunt. Certaines monnaies (comme un sesterce de Marc Aurèle) montrent l'empereur sur le dos de l'oiseau.


Apothéose de Titus au plafond de l'arc de Titus (Rome)

dimanche 20 octobre 2013

La transition des styles à l'atelier de Laodicée et Cérès sur un denier de Septime Sévère

La huitième acclamation impériale est datée du début de l'été et est remplacée après le 19 février 197 par la neuvième. C'est durant ces quelques mois que le style de l'atelier de Laodicée évolue. En effet, on trouve des deniers portant la marque IMP VIII à la titulature de droit qui sont indéniablement du très caractéristique "nouveau style" et d'autres qui sont encore marqués par l'ancien style plus fruste, initié au moment de l'ouverture de l'atelier au début du règne. Le denier présenté ici relève encore de l'ancien style, mais il a déjà évolué par rapport aux premiers deniers des années 194-195 où seule la légende d'avers permet de distinguer les monnaies d'Emèse, de celles de Laodicée. Je rappelle que l'attribution de ces deux ateliers aux villes syriennes est purement conjecturelle. 
On remarquera également l'erreur du graveur dans la légende de revers, écrivant ERVGIF au lieu de FRVGIF. Ce type d'erreur, typique des premières émissions orientales, la lettre F n'existant pas dans l'alphabet grec, ne se produira plus durant la période du nouveau style. On peut penser que des graveurs latins ou du moins latinisés ont alors remplacé les graveurs de Laodicée du début du règne.


S134 

Dénomination: Denier

Empereur: Septime Sévère


Avers: L - SEPT SEV PE-RT AVG IMP VIII - Tête laurée à droite.


Revers: CERE-R ERVGIF - Cérès debout de face, tête à gauche, tenant deux épis de blé de la main droite et une longue torche de la gauche.


Atelier (année de frappe): Laodicée (196-197)


Références: RSC 68e (35£) - RIC 475note (S) - BMC W441 - BnF /


Caractéristiques: Argent, 17mm, 3.04g, 6h - Ex. fonds CGB


Commentaire:

Cérès orne aussi bien des monnaies romaines et orientales de Julia Domna que des deniers exclusivement syriens de Septime Sévère. Dans ce dernier cas, les deux ateliers d'Emèse et Laodicée ont tous deux livré des exemplaires où la déesse de l'agriculture, des moissons et de la fécondité apparaît toujours comme sur notre exemplaire debout portant des épis de blé et une longue torche. Elle partageait son temple quelque part du côté de l'Aventin avec Liber et Libera. On retrouve ainsi la triade d'Eleusis: Déméter, Dionysos et Perséphone. Il semble que le culte qui y était donné soit demeuré grec. On signalera également que le 29 mai, une fête religieuse, les ambervalia étaient données en l'honneur de la déesse. Quand on sait l'importance de la nourriture dans une ville aussi peuplée que Rome sous l'Antiquité où les famines n'étaient pas rares, il n'est pas étonnant que l'empereur se préoccupe des moissons et fasse représenter Cérès sur ses monnaies.
Sur ses statues, Cérès porte fréquemment, outre les épis de blé et la torche, des pavots, symboles du sommeil qu'opère la Nature durant les mois d'hiver lorsque sa fille Proserpine rejoint son mari Pluton aux Enfers.

  
Statue de Cérès portant des épis de blé, des pavots et une torche (Musée du Louvre, Paris)

dimanche 29 septembre 2013

Moneta sur un denier de Septime Sévère à Laodicée

Moneta est une personnification de la Monnaie et symbolise aussi l'atelier monétaire qui a frappé le denier dont elle orne le revers. Ce denier a ainsi été frappé pour rendre hommage à l'atelier de Laodicée, ville syrienne qui s'est ralliée à Septime Sévère lors de la guerre civile, conséquence de la lutte de pouvoir entre différents compétiteurs à la mort de Pertinax en 193. Laodicée a ainsi été promue par le nouvel empereur, sorti gagnant du conflit, afin de récompenser sa fidélité au détriment d'Antioche qui avait soutenu son rival malheureux Pescennius Niger. La capitale de la province de Syrie est ainsi rétrogradée au profit de Laodicea ad Mare qui devient capitale (néanmoins pour une courte période) de la nouvelle province de Syrie Coelé. Antioche ne frappera donc jamais de monnaies impériales pour Septime Sévère ou ses fils, contrairement à Laodicée dont l'atelier fonctionnera jusqu'en 202. Ce dernier ne frappera néanmoins pas d'aes, mais des dénominations en métal précieux. En effet, deniers et aurei sont majoritairement destinées aux légionnaires, la population des provinces orientales utilisant plutôt les monnaies dites provinciales, à légendes grecques, frappées par les cités. Notons enfin que le rôle de l'atelier syrien a été important lors de la campagne parthique de 198 afin de payer les troupes engagées dans le conflit. La titulature fait d'ailleurs référence au titre de Grand Parthique obtenu par l'empereur lors de cette campagne.


n° S115

Dénomination: Denier

Empereur: Septime Sévère

Avers: L - SEPT SEV [A]VG IMP XI PART MAX - Tête laurée à droite.

Revers: MONETA - AVGG - Moneta assise à gauche, tenant dans sa main droite une balance et une corne d'abondance de la gauche.

Atelier (année de frappe): Laodicée (198-202)

Références: RSC 345 (25£) - RIC 510a (C) - BMC 669-70 - BnF 6405.

Caractéristiques: Argent, 18mm, 3.5g, 12h - Ex. fonds Cresson.

Commentaire:
Sous Septime Sévère, les quatre ateliers impériaux (Rome, Alexandrie jusqu'en 195, Emèse fermé vers 198 et Laodicée jusqu'en 202) ont tous frappé des deniers à l'effigie de Moneta. Cette dernière est ici assise et tient dans les mains ses deux attributs: la balance et la corne d'abondance. La balance garantit le juste poids de la monnaie et son titre en métal fin.


Balance d'époque romaine (Musée d'Aquitaine, Bordeaux)

Les deux empereurs, le G répété de AVGG indiquant qu'ils sont deux, Septime Sévère et son fils Caracalla, montrent ainsi par l'intermédiaire de cette pièce qu'ils sont les protecteurs de la monnaie et que le peuple peut avoir confiance dans les émissions des ateliers monétaires impériaux. La corne d'abondance précise que la monnaie est source de richesse et d'abondance pour l'Empire et ses habitants. La représentation de Moneta est rangée dans la catégorie Evergesia par E. Manders ("Coining Images of Power") au même titre que l'Annone ou des images de bâtiments, c'est-à-dire qu'elle promeut les réalisations socio-économiques accomplies par l'Empereur.

dimanche 8 septembre 2013

Une statue équestre de l'empereur sur un denier de Septime Sévère (Rome, 206)

La représentation présente au revers de ce denier est tout à fait intéressante. On y observe l'empereur à cheval dans une attitude hiératique, la lance est verticale et il porte dans la main gauche une statuette de Victoire. Même si la légende n'explique pas l'image, car elle est décline la titulature de l'empereur, elle indique néanmoins la date de frappe (TR P XIIII = 206). Il s'agit là très certainement d'une représentation d'une statue équestre de l'empereur qui s'élevait au centre du Forum romain et qui est aujourd'hui disparue. Elle avait été élevée afin de commémorer un "rêve prémonitoire" qu'avait eu Septime Sévère alors qu'il était gouverneur de Pannonie supérieure peu avant l'assassinat de Pertinax en 193. Hérodien en rappelle les faits dans son livre II d'Histoire romaine:
Lorsqu'on eut reçu la nouvelle de l'avènement de Pertinax au trône, Sévère, après s'être rendu au temple pour y sacrifier, et prêter serment de fidélité à la puissance du nouvel empereur, rentra le soir dans sa maison, et s'endormit presque aussitôt. Il rêva qu'il était à Rome : il vit un grand et superbe cheval, magnifiquement caparaçonné, qui portait Pertinax à travers la Voie sacrée. Arrivé à l'entrée du forum, où le peuple, du temps de la république, se rassemblait pour délibérer, ce cheval, par une secousse violente, renversa Pertinax, vint s'offrir à lui, Sévère, qui se trouvait près de cet endroit, et sembla l'inviter, en se courbant, à prendre la place de l'empereur. Il monta le cheval, qui, docile à son nouveau maître, le conduisit au milieu du forum, l'offrant aux regards et à la vénération de la multitude. La statue équestre d'airain, élevée, pour représenter ce songe, au forum même et dans des proportions colossales, subsiste encore de nos jours.
Après sa propre accession à la pourpre, Sévère fera ériger son image en empereur victorieux à l'emplacement désigné par le songe.


n° S122

Dénomination: Denier

Empereur: Septime Sévère

Avers: SEVERVS - PIVS AVG - Tête laurée à droite.

Revers: P M TR P XIIII - COS III P P - Septime Sévère à cheval marchant à gauche, tenant une haste verticale de la main droite et une statuette de Victoire de la gauche. 

Atelier (année de frappe): Rome (206)

Références: RSC 478 (50£) - RIC 203 (S) - BMC 494 - Hill 791 (R4) - BnF /.

Caractéristiques: Argent, 18mm, 2.99g, 12h - Ex. Cayon Auction May 2012 n°4811.

Note: ce type est peu commun comme l'indique la cote du RSC, celle de Cohen (5f) et l'indice fourni par Hill. Le type est d'ailleurs absent de la collection du Cabinet de Paris et du trésor de Réka Devnia pourtant riche en monnaies sévériennes.

Commentaire:

Comme je l'ai indiqué, la statue de Septime Sévère n'existe plus, mais elle était encore debout au moment où Hérodien écrit son texte au milieu du IIIème siècle. Cependant, il est possible que quelques dizaines d'années plus tard, Constantin Ier ait fait déplacer celle de son prédécesseur pour la remplacer par sa propre statue équestre.
La statue est proche de celle de Marc Aurèle visible aujourd'hui à l'abri au palais des Conservateurs à Rome et dont la copie orne toujours la place du Capitole. La main gauche devait porter une statuette, mais le bras droit est étendu alors que celui de Sévère devait porter verticalement une lance.



Statue équestre de Marc Aurèle (Musées Capitolins, Rome)